OMPinion - Bernadette Baeyens, première substitute du procureur du Roi au parquet de Flandre orientale
La magistrate de parquet Bernadette Baeyens au sujet du fait de travailler au sein du ministère public quand on est une femme : « Lorsque chacun occupe la bonne place, quel que soit le genre, l’impact sur la société est d’autant plus grand. »
Voilà 26 ans que j’ai intégré la magistrature, après avoir réussi un examen qui était encore organisé à l’époque par le Collège de recrutement des magistrats, et après avoir effectué le stage judiciaire. L’accession à la magistrature commence de manière anonyme, en passant un examen écrit anonyme, si bien que le genre ne joue par définition aucun rôle et que les candidats sont sélectionnés sur la seule base de leurs capacités. Le fait que le genre ne constitue pas un critère de sélection est également prouvé par les chiffres. Le ministère public compte 951 magistrats, dont 590 femmes et 361 hommes. Quand on est une femme au sein de la Justice, on occupe une position confortable et on se sent respectée, raison pour laquelle je ne ressens pas le besoin de revendiquer quoi que ce soit au travail. Au contraire, j’invite les femmes à opter pour une carrière dans la magistrature et à saisir les opportunités qui s’y offrent.
J’entends souvent dire dans d’autres organisations que « cette fois-ci, il faut que ce soit une femme ». Si c’est la seule raison de choisir une femme parmi dix candidats dont neuf hommes, je ne voudrais pas être cette dernière. Ce ne serait pas la bonne personne à la bonne place. Je me demande parfois si cela ne sert pas d’excuse aux candidats non sélectionnés, qui peuvent alors dire : « On a choisi une femme parce que ce devait être une femme. » Est-il plus facile de dire cela que de considérer les qualités de la personne choisie ?
Le principe de l’égalité donne justement la possibilité de comparer les compétences.
Le principe de l’égalité donne justement la possibilité de comparer les compétences. Il/elle permet alors de choisir librement et avec le soutien de l’ensemble de l’organisation. Lorsque chacun occupe la bonne place, quel que soit le genre, l’impact sur la société est d’autant plus grand.
À l’époque où je suis devenue magistrate, j’entendais parfois dire dans mon entourage que « le poste de magistrat de parquet est confortable quand on est une femme ». Ce job était dépeint comme facile au niveau des horaires, permettant ainsi de bien s’occuper de sa famille. Au sein du ministère public, nous avons au contraire un emploi aux horaires irréguliers, comprenant des services de garde et du travail le week-end. Mais il en va de même pour d’autres secteurs, où encore davantage d’efforts et de flexibilité sont demandés, par exemple celui des soins de santé.
Ce qui m’a avant tout poussée à devenir magistrate, c’est mon ambition. Je me suis portée candidate pour contribuer à résoudre les problèmes qui se posaient dans la période post-Dutroux. Je ne me suis jamais posé la question : « Est-ce que je peux faire cela, en tant que femme ? » ou « Est-ce que j’arriverai à concilier cela avec une vie de famille ? » Si l’ambition et la diligence sont au rendez-vous, alors beaucoup de choses sont possibles. Ajoutez-y un peu de passion et vous pouvez déplacer des montagnes. Selon moi, j’ai toujours été en mesure de bien faire mon travail.
Nous sommes plus qu’un simple fonctionnaire avec un sac à dos rempli de matières et de dossiers.
Ce sur quoi je voudrais attirer l’attention, c’est que, en tant que femme, en raison de votre situation personnelle, vous ne pouvez pas toujours saisir les opportunités offertes par votre organisation. Ce n’est pas parce que la possibilité existe que vous pouvez/devez en profiter. J’ai toujours eu la chance d’être soutenue et respectée dans mon milieu familial. Par exemple, lorsque je représente le ministère public lors d’un salon de l’emploi, de nombreuses jeunes femmes me demandent si un emploi de magistrat est compatible avec la vie de famille. Je remarque chez les magistrates en formation un certain embarras lorsque leur enfant est malade ou lorsqu’elles sont elles-mêmes souffrantes. Elles craignent d’en être tenues responsables, mais ce n’est absolument plus un problème. Une organisation qui fonctionne bien devrait être capable de gérer cela.
Ce n'est pas que la question de savoir comment, dans la magistrature, nous concilions notre travail et notre vie de famille, me dérange, car cette question se pose à l’évidence, mais également concernant les magistrats hommes. Pour eux aussi, cet équilibre entre vie professionnelle et vie privée constitue un problème voire une lutte. Sur ce plan, les hommes sont parfois oubliés, puisqu'on part du principe que pour eux, tout est facile à combiner.
Au sein du ministère public, nous formons une organisation soudée, où chacun se soutient mutuellement en cas de besoin. Chaque phase de la vie offre des opportunités et des choix différents. Il faut être capable de les réévaluer à chaque fois. Les femmes qui optent pour la magistrature à un moment chargé de leur vie privée ne doivent donc pas avoir peur de le faire.
Des personnes me demandent aussi parfois si mon job a changé mon caractère et si je trouve certaines matières plus difficiles. Elles partent du principe qu’une femme a nécessairement un caractère plus doux. On ne pose presque jamais cette question à un homme. On part du principe qu’un homme est naturellement endurci. N’hésitez donc pas à interroger aussi bien les femmes que les hommes à ce sujet. Les mêmes réponses seront données. Comme tout le monde, nous sommes des conjoints, des parents, des enfants, etc. Nous sommes plus qu’un simple fonctionnaire avec un sac à dos rempli de matières et de dossiers que nous traitons au sein du ministère public.
C’est une question de vision de la vie. J’ai longtemps travaillé sur des dossiers de mœurs au sein d’une équipe composée à la fois de femmes et d’hommes. Au sein de la section chargée des homicides, je suis actuellement responsable d'une équipe composée en majorité de femmes. Peu importe que vous travailliez avec plus d’hommes que de femmes ou vice versa. Il faut avant tout bien se connaître, faire ce qui est dans sa zone de confort, développer ses points forts et les exploiter. Cela rend chaque procureur unique, quel que soit son genre.
Le réquisitoire des femmes ne sera pas plus indulgent que celui des hommes. Il sera tout aussi nuancé. Un bon procureur est un procureur nuancé qui sait apprécier en amont le pour et le contre, ainsi que les points de vue tant de la partie civile que de la défense. Les choses sont rarement tout noir ou tout blanc. Nous examinons avec un esprit ouvert l’ensemble du contexte, l’histoire de la victime et celle de l’auteur des faits. Nos normes et valeurs (intégrité, objectivité, impartialité, humanité et indépendance) au sein de l’organisation sont neutres en termes de genre, et nous les appliquons ouvertement dès que nous commençons à travailler sur un dossier.
Au ministère public, tous ceux qui occupent la même fonction perçoivent le même salaire. Ce n’est pas vrai que mes collègues masculins peuvent demander et obtenir une augmentation, et pas moi. Nous sommes égaux. Et cette égalité se traduit sur le lieu de travail.
Au ministère public, nous avons bien entendu avancé en la matière. En tant que femme, j’ai toujours pu m’épanouir au sein de notre organisation. Tous ceux qui occupent la même fonction perçoivent le même salaire. Point barre. Ce n’est pas vrai que mes collègues masculins peuvent demander et obtenir une augmentation, et pas moi.
Il y a certes moins de femmes aux fonctions les plus élevées, mais je ne considère certainement pas comme négatif qu’un homme occupe un tel poste. Si nous, en tant que femmes, ne posons pas notre candidature, nous ne serons évidemment pas sélectionnées. Lorsque les hommes sont plus nombreux à postuler que les femmes, voire qu’il n’y a aucune femme candidate, c’est une conséquence logique. Nous devons alors, en tant qu’organisation, oser nous regarder dans le miroir et réfléchir à la manière dont nous pouvons motiver les femmes à se porter candidates.
