Interview avec Frank Bleyen - Procureur du Roi du parquet du Limbourg

« Just do it, pour le bien-être de chacun et par plaisir »

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Il y a quelques mois, Frank Bleyen a prêté serment en tant que procureur du Roi du parquet du Limbourg, succédant ainsi à Guido Vermeiren qui a exercé la fonction du procureur du Roi pendant dix ans avant de devenir procureur général à Anvers. Dans son autre carrière d’arbitre de football, Frank Bleyen s’efforçait déjà de comprendre les raisons pour lesquelles certaines personnes ne restent pas dans la norme et d’identifier une approche adéquate pour les cadrer.  

Frank Bleyen : « Avant d’entrer au parquet, j’étais avocat. Après ce passage au barreau, j’ai fait le long stage d’un an et demi au ministère public, suivi d’un stage externe et d’une année au tribunal. En 2009, j’ai été nommé substitut à Hasselt. De 2009 à 2014, j’ai travaillé au sein de la section “Famille, jeunesse et mœurs”, dont j’ai pris la direction à partir de 2011. En 2014, je suis devenu procureur de division faisant fonction à la division de Hasselt. C’est en 2015 que je suis passé au parquet général d’Anvers, où j’ai fait partie de l’équipe de magistrats de parquet près la chambre des mises en accusation jusqu’en 2020. De 2020 à avril dernier, je me suis occupé d’audiences au fond, principalement pour des dossiers économiques et financiers, parfois de droit commun et aussi d’assises. » 

Pour Frank Bleyen, les missions politiques d’un procureur du Roi n’ont rien de nouveau. Ces dernières années, il a déjà développé un grand nombre de projets. 

Frank Bleyen : « Sur le plan politique, j’ai pris en charge deux missions nationales. Le concept et la philosophie du bureau “Qualifications et nomenclature” au service d’appui du ministère public ont été conçus et implémentés dans la pratique par Filip Rabaey et moi-même. Ce bureau veille à ce que chacun puisse sélectionner au quotidien les qualifications correctes dans MaCH. La deuxième mission avait trait au RGPD, pour lequel un bureau a également été créé au sein du service d’appui. J’ai été le premier DPO (Data Protection Officer) national auprès du ministère public. Parallèlement, j’ai aussi participé activement aux réseaux d’expertise dans des domaines comme la collaboration internationale, la criminalité contre les personnes, les matières écofin, le RGPD et la procédure pénale. » 

« Lorsque je remarque dans un dossier un problème qui a un impact structurel, je vais non seulement traiter le dossier en question, mais aussi m’efforcer de proposer une solution adéquate pour l’ensemble de la chaîne. Résoudre des problèmes, j’ai toujours eu ça dans le sang. Ma candidature à la fonction de procureur du Roi s’inscrit dans cette optique. Je me suis finalement présenté à ce poste parce que j’ai une certaine idée de la manière dont la Justice peut fonctionner et que je veux tenter de la mettre en œuvre avec mes homologues dans l’arrondissement du Limbourg. » 

« Ma mission va au-delà de la politique criminelle, elle concerne aussi la politique de sécurité » 

 

Frank Bleyen : « Ma mission va au-delà de la politique criminelle, elle concerne aussi la politique de sécurité. La politique criminelle porte sur les affaires et poursuites pénales, mais il y a aussi l’aspect de l’approche administrative, qui ne relève pas purement de la politique criminelle. Dans les affaires non pénales également, nous devons mettre en œuvre une politique, car dans le cadre d’une affaire pénale, nous pouvons aussi intervenir à un niveau non pénal. » 

« Je me souviens par exemple d’un dossier impliquant un homme âgé qui était tombé amoureux d’une femme, une prostituée de luxe, qui n’était pas animée de bonnes intentions et lui a soutiré de l’argent. Ces faits pouvaient être poursuivis pénalement pour qu’il y ait une sanction pénale adaptée et une confiscation. Mais il fallait aussi protéger l’homme âgé, qui était toujours amoureux de cette femme et ne se rendait pas compte qu’il en était la victime. La police a donc reçu l’ordre de le convaincre de ne plus lui donner d’argent. La femme s’était en fait déjà adressée à lui pour lui demander de payer l’amende et la confiscation, ce qu’il n’a heureusement pas fait grâce à l’intervention des policiers. Tout cela pour dire qu’une solution peut aussi être trouvée en dehors du cadre pénal. » 

« En cas d’infractions au droit économique, le Code du même nom prévoit la possibilité pour le juge de procéder à la publication du jugement ou de l’arrêt dans les médias, ce qui permet d’informer le public et de le protéger contre des entrepreneurs de mauvaise foi. Il me revient l’exemple d’un photographe mal intentionné qui multipliait les promesses contre paiement, mais ne les tenait pas. J’ai alors obtenu que le jugement soit publié, de sorte que sa condamnation soit publiquement connue. Ce qui est en jeu ici, c’est le tableau dans son ensemble, ce qui implique aussi d’éviter d’autres victimes. »

« Communiquer est aussi important dans le cadre de la politique de sécurité. Par exemple, si nous parvenons à éviter dix victimes grâce à une bonne information, nous nous épargnons dix dossiers et une importante charge de travail. Le temps que nous y aurions consacré, nous pouvons le mettre à profit dans un autre dossier. » 

« Just do it, pour le bien-être de chacun et par plaisir » 

Frank Bleyen : « Je suis convaincu que nous devons nous fonder sur notre droit, et principalement le droit pénal, pour prévenir la récidive. La répression pour la répression, c’est possible par exemple pour des actes de violence graves ayant entraîné la mort, mais dans la majorité des cas, elle n’est pas nécessaire et il vaut mieux concentrer les efforts sur la prévention de la récidive. Nous avons suffisamment de moyens et de possibilités pour empêcher une personne de commettre d’autres méfaits. Il y aura donc moins de victimes et nous serons en mesure de contribuer au bien-être et au bonheur de la population. Les personnes condamnées aussi se sentiront mieux si elles ne commettent plus d’infractions. Nous nous efforçons de mettre en place une solution à leurs problèmes d’abus d’alcool, de drogue ou de dettes dans un cadre judiciaire. Nous aussi, nous en sortons gagnants : nous constatons que nos actions ont un résultat et pouvons réduire notre charge de travail à long terme. Dans les dossiers restants, nous sommes alors à même de fournir un travail de meilleure qualité et de nous investir davantage encore dans la prévention de la récidive, ce qui crée un cercle vertueux de réduction des faits punissables. Telle devrait être notre aspiration. Elle est peut-être ambitieuse, mais si on n’essaie pas, ça ne marchera jamais. » 

« Nous devons transposer ce que nous observons au quotidien sur le terrain en une politique structurelle »

 

« Lorsque j’étais substitut, j’ai toujours travaillé dans le domaine des violences intrafamiliales et avec mes collègues, nous avons axé la politique sur une réaction rapide et l’offre de solutions. Nous ne nous contentions pas de donner une suite aux dossiers, nous voulions aller au-delà et chercher des solutions structurelles. Parce que notre but était d’éviter toute récidive et des faits plus graves encore comme un assassinat ou un meurtre. Et nous y sommes parvenus sur cette période de cinq ans (2009-2014). La démarche a aussi, d’une autre manière, un impact sur la charge de travail, car un dossier d’assises implique par exemple énormément d’investissement pour une multitude de magistrats à chaque niveau. Ce temps gagné peut alors être investi dans d’autres dossiers. » 

« Au sujet de la criminalité financière par exemple, je trouve que nous devrions confisquer l’argent, les voitures et les biens immobiliers durant l’enquête au lieu d’attendre le jugement. Une confiscation immédiate empêche les criminels de blanchir ces sommes ou de les utiliser pour générer de nouveaux faits punissables. Dans un cas de ce genre, l’exécution de la peine commence et s’achève avec le jugement ou l’arrêt du juge. » 

Frank Bleyen a été arbitre de football au plus haut niveau pendant de nombreuses années. De cette carrière, il retient surtout la connaissance de la nature humaine, qu’il met à profit dans la fonction de procureur du Roi qu’il occupe aujourd’hui. 

Frank Bleyen : « Connaissance de la nature humaine, bons rapports avec les autres, direction et coaching de personnes, mais aussi manière de donner un suivi à chaque situation. Comment gère-t-on des footballeurs de haut niveau qui touchent des salaires mirobolants ? » 

« Comme pour un match de football qu’il faut cadrer, nous devons travailler à asseoir l’autorité. Si une personne reçoit une remontrance mais récidive, il faut passer au niveau suivant, par exemple en imposant une transaction, et si cela n’aide pas, la faire comparaître devant un juge ou la citer à comparaître. Il faut faire preuve d’autorité pour qu’elle comprenne que les règles doivent être respectées et que nous mettrons tout en œuvre pour faire cesser le comportement délictueux. Sur un terrain de football, on pouvait donner un avertissement en passant et conseiller au joueur de cesser son comportement déplacé. Si cela n’aidait pas, on pouvait l’inviter à s’approcher, ce que tout le monde était en mesure de voir, pour ensuite brandir un carton jaune ou rouge. » 

« J’inviterais tous ceux qui veulent vraiment en savoir plus sur la Justice à assister à une audience pour s’en faire une idée plus correcte » 

 

Frank Bleyen : « Selon moi, rendre des comptes au citoyen ne passe pas par des rapports de fonctionnement, mais se fait dans le dossier proprement dit. En veillant à ce que la victime reçoive son dû et en sommant l’auteur de mettre un terme à son comportement délictueux de telle manière qu’il le fasse effectivement. Pour cela, il faut donner une suite adaptée à chaque affaire, en fonction notamment de la nature et de la gravité des faits, des circonstances, de la personnalité de l’auteur et de ses motifs, et du lieu des faits. Le point essentiel, c’est le traitement du dossier contenant les infractions pénales. C’est là-dessus que nous devons nous concentrer. Parler moins et faire plus, “Just do it”. »

« La perception qu’une personne a de la Justice peut se constituer de deux manières. La première concerne une personne qui découvre la Justice parce qu’elle est impliquée dans un dossier en qualité de victime ou de suspect. Sa perception est influencée par la façon dont une suite est donnée à son dossier, par la façon dont les intervenants s’adressent à elle, par les signaux et les messages qui sont émis, etc. La deuxième correspond à ce que le public lit, voit et entend dans les médias. Tous ces éléments influencent l’idée qu’il se fait de la Justice. Malheureusement, dans la plupart des cas, les médias relatent uniquement les éléments négatifs, parce qu’il y a eu des manquements, si bien que le citoyen estime que “ça ne fonctionne pas”. J’inviterais tous ceux qui veulent vraiment en savoir plus sur la Justice à assister à une audience pour s’en faire une idée plus correcte. S’imprégner du contexte dans sa totalité, du point de vue de chaque partie, pour ensuite trancher. » 

«À l’audience, la personne devient un être de chair et de sang» 

Frank Bleyen : « Avant, chaque fois que je me rendais à une audience, j’avais déjà en tête une idée de la peine à requérir à l’encontre du prévenu. Dans la majorité des cas, je la modifiais en sa faveur parce que je l’avais rencontré en personne et que j’en savais désormais plus que ce que j’avais lu noir sur blanc dans le dossier. À l’audience, la personne devient un être de chair et de sang. » 

« Lors de ma dernière affaire en assises, les enquêteurs de la police étaient venus assister au débat après avoir témoigné. Par la suite, ils ont spontanément expliqué que tous les membres de la police devraient être obligés de suivre une affaire de ce type pour avoir des notions de tout ce qui se dit. Ou pour comparer l’image qu’ils se font pendant l’enquête avec celle qui s’impose quand une personne doit se défendre ou quand la victime vient relater ce qu’elle a subi. Cela semble donc montrer qu’une audience donne d’un dossier et de la Justice une image autre que celle que renvoient les médias ou celle qu’on se forge à distance. » 

«Il faut parler le langage des personnes assises en face de soi» 

« La manière de communiquer peut aussi être un moyen de trouver des solutions. La victime ou le suspect doit pouvoir vous comprendre. Lors de divorces conflictuels, le juge et moi-même, en ma qualité de magistrat de parquet, parvenions souvent à une résolution en parlant un langage que les personnes impliquées comprenaient, quitte à passer au dialecte. Sonder les personnes en face de soi pour utiliser un langage qu’elles comprennent exige parfois beaucoup d’énergie et de patience. Nous devons pourtant consentir à investir l’une et l’autre, parce que c’est aussi une façon de contribuer à la mise en place de solutions durables. » 

Les raisons de rejoindre le parquet du Limbourg sont évidentes pour Frank Bleyen 

Frank Bleyen : « Parce que c’est le meilleur parquet !?! Non, chacun fait de son mieux. Je pense que c’est en partie lié aux caractéristiques des Limbourgeois : nous sommes très accueillants et chaleureux, ce qui se reflète aussi dans les relations de travail. Il y a quelques semaines, j’ai demandé à un candidat au poste de substitut, qui ne venait pas du Limbourg, pourquoi il avait choisi notre région. Il m’a répondu ceci : “C’est parce que le Limbourg dégage une dynamique particulière, faite de convivialité, d’ouverture et de sympathie”. Le football m’a amené à voyager dans toute la Belgique, les gens sont très gentils partout, mais la convivialité et la chaleur qu’on trouve au Limbourg, je ne l’ai jamais ressentie avec autant d’intensité ailleurs. Et puis, comme j’ai pu le constater à de nombreuses reprises, il y a presque toujours de la Limburgse Vlaai (tarte régionale) aux réunions (rires). » 

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