Institutrice de formation, Sophie Salens a gardé le goût de la transmission dans ses fonctions d’auditeur du travail du Hainaut. Un rôle et une institution dont elle dresse le portrait avec passion. Petit aperçu au gré d’une souriante conversation, scone à la main, dans le cadre so british du Paddington, un salon de thé sis à un jet de pierre du Carré des Arts mais aussi à peine plus loin des bureaux montois de l’auditorat.
Sophie Salens, oserions-nous vous demander de vous présenter en quelques mots?
Je suis une Bruxelloise d’origine installée désormais à Genappe, dans l’ouest du Brabant wallon. J’ai tout d’abord réussi les études d’institutrice primaire. Mais j’avais à peine mon diplôme que je pressentais que le secteur n’était pas fait pour moi. Le mois suivant, je m’inscrivais en droit à Saint-Louis pour les candidatures. Quant aux licences, je les ai suivies à Louvain-la-Neuve. J’ai ensuite travaillé deux ans chez un notaire… mais je trouvais cet emploi trop répétitif. J’ai donc passé le concours de juriste et première classée en ordre utile pour postuler au tribunal de première instance de Charleroi. J’y ai passé six ans avant de réussir l’examen d’aptitude de magistrat et rester quatre années au parquet de Charleroi.
Un chemin varié pour arriver à l’auditorat du travail du Hainaut…
Le Siège m’attirait et j’avoue que l’auditorat, je ne connaissais pas trop. J’y ai finalement postulé en 2013… et je n’en suis plus partie depuis, devenant officiellement auditeur du travail en avril 2023 en remplacement de Charles-Eric Clesse (même si je faisais déjà fonction depuis octobre 2022). Me voilà dans un premier mandat de cinq ans avant, peut-être, un second. Et après ? On verra bien. Là, je suis dans l’action et j’aime bien ça. J’ai d’ailleurs tenu à garder des dossiers et à assurer des audiences à côté de mes fonctions managériales. Il est, à mon sens, essentiel de garder les mains dans le cambouis pour être une bonne cheffe de corps.
Qu’est-ce qui vous a motivée à tenter votre chance dans cette structure qui vous était alors méconnue ?
Je me suis renseignée. J’ai ainsi pu appréhender combien l’auditorat présente un bel équilibre. Il y a le volet pénal où l’on agit comme un substitut du procureur du Roi, où l’on poursuit les employeurs qui ne respectent pas la législation belge, qui n’ont que faire des barèmes, où l’on lutte contre la traite économique des êtres humains. La sécurité sociale belge est une des meilleures au monde. Mais pour qu’elle fonctionne au mieux, il faut que tout le monde joue le jeu et respecte les règles. A défaut, cela crée une distorsion de la concurrence.
Et le volet civil…
… qui nous impose de présenter au tribunal des dossiers complets, objectifs et bien bâtis au bénéfice notamment des travailleurs et assurés sociaux, qui sont parfois mal outillés pour faire valoir leurs droits ; ou au bénéfice de l’ État lorsqu’il s’agit de récupérer des allocations qui auraient été indûment versées. C’est pour cela que nous allons chercher les informations auprès de toutes les institutions afin de répondre de manière précise aux problématiques visées.
Un spectre de compétences très large, donc ?
Oui. Je pense que l’auditorat incarne le ministère public qui touche le plus les gens et leur quotidien. Notre travail a, pour moi, énormément de sens car il concerne potentiellement tout le monde, travailleurs comme assurés sociaux, et qu’il permet de faire respecter leurs droits mais également de lutter efficacement contre la fraude sociale. Que cette institution soit si méconnue est donc paradoxal. Cela nous porte d’ailleurs quelque peu préjudice…
À quel niveau ?
Les parquets ou la police n’ont pas toujours le réflexe ou l’habitude de nous communiquer certains éléments ou indices qui, pourtant, pourraient nous intéresser, que ce soit pour initier des dossiers ou en faire progresser d’autres. Avec davantage de collaboration, il serait plus efficace d’agir dans certaines affaires ou de permettre de stopper plus tôt le paiement d'allocations sociales indues. D’où l’intérêt de sensibiliser les collègues de la police et des parquets.
Vous semblez confiante…
On y parviendra à force d’expliquer ce que nous faisons, en présentant nos compétences, en détaillant en quoi ces partenaires peuvent nous être utiles. L’auditorat du travail constitue en effet une structure quasi unique au monde – nous recevons d’ailleurs régulièrement des visites de représentants étrangers qui viennent voir cette spécificité belge et comment nous fonctionnons. J’en profite pour souligner combien une fusion des auditorats du travail avec les parquets ou des cours d’appel avec les cours du travail constituerait un recul énorme en matière d’acquis sociaux: vu la technicité propre de nos matières, vu le caractère particulier du droit du travail, du droit de la sécurité sociale et du droit pénal social, il est primordial de pouvoir compter sur des magistrats spécialisés.
Quid des recrutements ?
Ce qui nous dessert parfois, c’est justement cette méconnaissance de l’auditorat du travail : celle du grand public mais aussi celle des magistrats en formation pour qui il s’agit rarement d’un premier choix. Nous recevons dès lors moins de candidatures. Mais je ne suis pas fataliste, je fais régulièrement du lobbying, notamment auprès des lauréats des examens et les choses commencent à changer !
Est-il aisé de « vendre » l’image de l’auditorat du travail ?
Il est clair que nous faisons moins la une des journaux que les parquets. Alors que nos actions peuvent avoir un impact très important. C’est à nous qu’il appartient de mettre en lumière notre institution en montrant combien elle est utile et tellement éloignée de l’image poussiéreuse qu’on en a parfois. À tort. Ma formation d’institutrice m’y aide, lorsqu’il s’agit de faire passer les messages, faire comprendre des concepts. J’apprécie de transmettre, expliquer, vulgariser…
Attirer des forces vives, c’est une chose. Mais il s’agit aussi de les garder.
Cela peut également passer par une personnification de nos services. Au niveau du Hainaut, par exemple, je dirige une équipe enthousiaste, diversifiée, avec des collègues provenant d’horizons très différents. Et c’est une richesse ! Nous sommes répartis en trois divisions - Charleroi, Mons et Tournai – où je me trouve régulièrement, avec une prédominance du site carolo car c’est là que mes dossiers se trouvent. Je suis très attachée à la cohésion des équipes. Cela passe par de la bienveillance à l’égard de tout le monde, de l’écoute, de la valorisation… Il est important que chacun se sente bien au boulot! Quelques illustrations ? Je tente d’instaurer des endroits et moments où l’on se sent bien. Le simple ajout de machines à café a déjà contribué à améliorer la dynamique. Sauf exceptions, la porte de mon bureau est toujours ouverte, tout un chacun peut venir me « déranger ». Il y a aussi les teambuildings, les repas en commun (avec tant les magistrats que le personnel car c’est toute la chaîne qui doit être soudée). Sans oublier le droit à la déconnexion…
Que vous vous appliquez également ?
J’essaye. Généralement, je n’allume pas mon PC durant le week-end. Bon, j’avoue que je reçois mes mails aussi sur mon GSM… Mais je tente de ne plus toucher à rien quand je rentre chez moi, le soir. Il faut pouvoir couper après le travail pour pouvoir se reposer, se ressourcer… et garder une vie équilibrée.
Comment faites-vous pour réellement déconnecter ?
Être en famille, par exemple, avec mon mari et mes deux fils de 17 et 20 ans, ça permet de rester ancrée dans la réalité ! Aller au cinéma, également. Mais j’aime aussi jouer au tennis, faire du yoga… Cela m’aide beaucoup pour évacuer et me recentrer. Les week-ends, les balades au grand air et les couchers de soleil en baie de Somme, aussi. Le côté naturel et peu bâti de cette région m'apaise et me plaît particulièrement. Et puis, enfin, LE truc qui m’aide à déconnecter, c’est la pâtisserie (notre entretien se tient donc dans un endroit parfait). Qu’il s’agisse de macarons ou de tout ce qui touche au chocolat, il faut peser les ingrédients, trouver la bonne température… Tout cela demande d’être concentré et permet de se vider la tête. Et, puis, c’est aussi l’occasion d’un moment de partage à table, comme aujourd’hui.
Article issu du MP en bref, magazine du ministère public.
Envie de lire le magazine du MP en entier?