Après avoir assimilé des piles entières d’ouvrages de droit qui ont dû être traduits en braille, Erik De Bock a décroché son diplôme et un poste de magistrat de parquet au parquet d’Anvers. Son message est sans équivoque : battez-vous pour étudier et réaliser vos rêves, c’est possible !
Au terme de ses études de droit à l’université de Gand et d’un master supplémentaire en droit environnemental, Erik De Bock commence sa carrière comme juriste chez un avocat. Quatre ans plus tard, il participe aux examens d’accès au stage judiciaire, qu’il entame à Anvers en 2010, avant d’être nommé substitut du procureur du Roi en 2012.
Le ministère public par la voie du braille
« Durant ma formation, tout était en braille. À l’université de Gand, il y avait une ASBL (“Begeleiding van studenten met een handicap”) qui prenait contact avec les profs pour obtenir les cours et les faire traduire en braille. Il fallait cependant que les enseignants les préparent dans les délais demandés, ce qui n’était pas toujours le cas (rires). Bref, c’était chaque fois la course pour réunir le matériel à temps pour le début des examens. »
Erik De Bock garde un bon souvenir de l’examen d’accès au stage judiciaire : « Le Conseil supérieur de la justice s’était arrangé avec la Ligue Braille pour qu’elle fournisse un ordinateur adapté, c’est-à-dire un appareil équipé d’un lecteur d’écran et d’une plage braille pour que je puisse participer à l’épreuve. Mais comme l’examen était anonyme et devait être rédigé à la main, tout ce que j’ai tapé a été recopié manuellement. Ce n’est donc qu’au troisième tour, lors de l’examen oral, qu’ils ont réalisé que je suis aveugle. »
Il a un temps envisagé la magistrature assise, mais s’est rapidement ravisé pour s’engager dans la magistrature debout en raison de son intérêt pour le travail d’équipe : « J’ai commencé le stage avec l’idée de devenir juge. J’ai ensuite changé d’avis en cours de route. J’ai remarqué que le ministère public collabore avec énormément de personnes dans le cadre du travail et en dehors. J’ai donc choisi le stage court qui conduit exclusivement au ministère public. »
Erik De Bock se rappelle encore très bien sa première affaire pour laquelle il a dû établir un réquisitoire final : « Mon premier dossier concernait une personne décédée dans un incendie et je devais rédiger un réquisitoire final. Je parlais avec mon mentor du fait que cet homme avait perdu la vie et que pour moi, c’était grave, lorsqu’il m’a expliqué ceci : “tout ce que tu dis est juste, mais tu dois essayer de ne pas t’impliquer émotionnellement et prendre une décision urgente dans l’intérêt de ton affaire et de ton dossier". »
« Je distingue sans grande difficulté le bruissement typique des pages d’un code. »

La jeunesse et la famille comme fil rouge
« Depuis janvier 2020, je travaille à temps plein pour la section “Famille et jeunesse", après quelques années à la section civile et à celle du droit pénal. Ce que j’apprécie particulièrement dans ma nouvelle section, c’est qu’il ne faut pas faire uniquement de la répression, et que je peux aussi essayer d’aider proactivement les personnes que je rencontre. Si j’ai un dossier impliquant une situation éducationnelle inquiétante par exemple, je peux aiguiller les justiciables vers le service d’aide adéquat. Nous travaillons avec des jeunes, nous pouvons donc tenter de les garder sur le droit chemin. Il y a un volet pénal, bien sûr, mais aussi un volet civil avec les tutelles, les déchéances de l’autorité parentale, les adoptions, le droit aux relations personnelles avec les enfants, etc. »
« L’un de mes derniers dossiers était vraiment passionnant. Il concernait des personnes itinérantes qui avaient été appréhendées pour une effraction : ils prétendaient qu’ils étaient mineurs, mais il y avait une possibilité qu’ils ne le soient pas. Nous pouvions difficilement clôturer le dossier dans les temps parce qu’ils refusaient de passer un test osseux. Par la suite, nous avons reçu un procès-verbal selon lequel l’un d’eux s’était présenté comme majeur et donnait effectivement l’impression d’être adulte. La juge de la jeunesse s’est déclarée incompétente parce qu’elle a estimé qu’il avait plus de 18 ans. Nous avions 48 heures et avons pu le déférer devant le juge d’instruction juste avant l’échéance du délai d’arrestation et l’arrêter. »
Erik De Bock souligne que prendre des décisions dans une affaire ne signifie pas que les magistrats sont des robots : « Nous avons évidemment notre famille et nos émotions, et nous nous efforçons de ventiler avec des collègues, ce qui est aussi nécessaire. J’ai ainsi eu un dossier dans lequel la police a mis la main sur une dame qui était signalée pour une série d’ordonnances de capture. Cette personne a été trouvée à la suite de violences intrafamiliales. Il y avait encore quatre jeunes enfants pour lesquels nous avons dû chercher un accueil d’urgence en pleine nuit. Je ne l’oublierai jamais… La police a découvert un bébé dont les adultes se servaient pratiquement pour éteindre leurs cigarettes. Son petit bras était couvert de brûlures. C’est l’une des histoires qui m’ont marqué à jamais. »

Sa cécité, un obstacle mais pas insurmontable
Erik De Bock avait effectivement réfléchi en amont aux problèmes possibles que sa cécité risquait de poser dans son travail, par exemple pour l’accès numérique ou manuel aux dossiers : « Au début, le numérique n’était pas encore omniprésent, il fallait donc scanner beaucoup de pièces. Le système MACH avait été conçu sans tenir compte de la nécessité de prévoir des possibilités pour les utilisateurs malvoyants aussi, ce qui n’a pas facilité les choses quand il a fallu faire en sorte qu’il me devienne accessible. Nous en avons discuté avec le fournisseur du lecteur d’écran et un spécialiste en Allemagne. Quel soulagement quand nous avons enfin réussi ! Depuis, des progrès sont réalisés et la numérisation avance à grands pas au sein de la Justice. Aujourd’hui, je travaille beaucoup dans JustOne et un collaborateur de la firme qui a développé le système de JustOne est venu voir ce dont j’avais besoin pour utiliser ce programme. Ses collègues et lui ont été en mesure de me donner pas mal de conseils et ont aussi travaillé sur mes indications, notamment le fait de nommer les liens et boutons. »
Son espace de travail a lui aussi été adapté : « J’ai notamment une plage braille qui traduit en braille le texte qui s’affiche à l’écran. Elle est pilotée par un lecteur d’écran, un programme qui retranscrit le contenu de chaque ligne et qui est capable de le lire à haute voix. Mes collègues peuvent parcourir un texte plus rapidement en se concentrant sur certains mots, alors que je dois le lire en entier, ce qui prend parfois plus de temps. »
« À l’audience, j’ai mon ordinateur qui contient une farde générale dans laquelle figurent les dossiers à traiter, ce qui me permet d’ouvrir le bon, avec la note d’audience. Je peux ainsi participer au débat, écouter, poser des questions, répondre à d’autres, etc. Évidemment, le savoir (ou la connaissance d’un dossier) permet déjà beaucoup. Tout le monde accepte ma cécité. Un jour, j’étais à une audience et j’ai entendu le juge feuilleter des papiers. Je le lui ai dit : “Ha, vous êtes en train de faire une recherche dans le code”, il était étonné que je m’en sois aperçu. Je distingue sans grande difficulté le bruissement typique des pages d’un code (rires). »
Enfin, Erik De Bock bénéficie d’un soutien administratif supplémentaire, notamment pour scanner les dossiers, remplir les documents relatifs au classement sans suite et signer les pièces (indication de l’endroit où il doit signer).
Un travail plus efficace grâce à la numérisation qui se poursuit
« La numérisation qui se poursuit reste un défi, tout comme l’utilisation d’une IA, qui pourrait potentiellement servir à décrire des photos. Et faire en sorte que la suite de logiciels demeure accessible avec un lecteur d’écran posera chaque fois des difficultés. Il y a déjà eu énormément d’adaptations positives, mais il subsistera toujours des obstacles, comme la lecture de plans, des pièces tamponnées ou manuscrites, etc. Mais beaucoup de choses sont déjà dématérialisées et les bases de données juridiques sont toujours plus accessibles en ligne.

Une métropole et une équipe dynamique
Erik De Bock reste fidèle au parquet d’Anvers : « Le parquet d’Anvers, c’est une équipe dynamique, avec beaucoup de collégialité et une ambiance de travail agréable. Je prends par exemple le train pour venir travailler et avec un collègue, nous nous fixons rendez-vous pour le trajet de la gare au parquet et inversement. Anvers est une métropole qui offre de nombreux défis et une grande diversité dans les matières et les affaires. Notre parquet propose aussi des possibilités d’évolution qui permettent de se familiariser avec les différentes branches du droit. Je suis très fidèle à une organisation, c’est dans ma nature. Dès que j’arrive quelque part, j’ai envie d’y rester longtemps et de m’y investir totalement. »
Pas de découragement
Erik De Bock a encore un message pour les futurs magistrats : « Je voudrais dire une dernière chose : foncez et ne baissez pas les bras. Battez-vous pour étudier et trouver un emploi qui vous plaît, même si ce n’est pas toujours facile. Il y aura sûrement des préjugés, mais si vous vous investissez au maximum, vous les ferez tomber.
Article issu du MP en bref, magazine du ministère public.
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